À Chaillot, l’anthropologie universelle de Stephanie Lake
La poésie de Pile of Bones se déploie dans un espace noir, comme devant l’éternité, investi par un couple originel dédoublé, dansant avec une fluidité remarquable et une profonde apesanteur des corps. Mais le voyage dans l’obscurité des origines se poursuit par un éclatant show à paillettes, lumineux et libératoire.
Au-delà de l’humain…
La danse de Stephanie Lake est sobre et va droit au but, exactement comme le titre de cette pièce, sans fard et sans ménagement, Pile of Bones : un tas d’os, c’est ce que nous sommes, en gros. Pas forcément réjouissant. Et nos sentiments ? Justement, c’est le sujet. Nos relations à l’autre, l’amour, le désir, tout ce qu’il y a en nous de sauvage mais aussi de très délicat est ici exposé, exacerbé et orchestré selon une logique émotionnelle et gestuelle où se joue et se rejoue sans cesse une logique de naissance et de renaissance, de déconstruction et de reconstruction. D’où un mouvement incessant et basculant, entre des états différents : humain, animal, robotique ou de la matière pure.
… et pourtant si humain
Ici, on offre à l’autre des gestes de soins, de tendresse et de protection mais on affronte aussi des disputes, des attaques, du rejet, des batailles… Ces atavismes sont nés avec l’avènement de l’intelligence sur terre et en font partie à jamais. De quelle manière cela se traduit dans nos comportements, voilà le sujet de cette étude du geste, composée comme une œuvre musicale. Ces empilements d’os qui s’agitent font preuve d’autant de finesse psychologique que d’audace acrobatique.
Les post-it et le dinosaure…
Et ils se transforment. L’idée de génie de la costumière Harriet Oxley est de coller des post-it sur le corps des danseurs jusqu’à ce qu’ils ressemblent à des dinosaures alors qu’ils croulent littéralement sous la liste des tâches à accomplir. Peut-on mieux résumer à quel point nous sommes faits de vie moderne et de cerveau reptilien ? La danse est ici particulièrement animale, avec de spectaculaires glissades au sol. Et puis, on se libère et on fait la fête. En Australie aussi, la danse contemporaine épouse le clubbing, mais Stephanie Lake transgresse tous les modèles du genre.
Une chorégraphe majeure
Avec son écriture qui fait de la moindre partie du corps un outil d’expression de grande finesse, Lake est reconnue comme une figure majeure de la scène chorégraphique du 6e continent. Elle a dansé dans des compagnies emblématiques comme Chunky Moves avec sa danse très théâtrale ou participé aux fulgurances de Lucy Guerin, autre chorégraphe australienne que nous connaissons bien en Europe. Avec sa propre compagnie, elle a créé des œuvres très remarquées et elle a été invitée à créer pour des compagnies prestigieuses d’Australie, Nouvelle-Zélande et Singapour.
Thomas Hahn
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